99 Flins : Théâtre de la Transformation
De janvier à juin 2024, j’ai eu le plaisir d’animer le projet “99 Flins” en collaboration avec les salariés de l’usine Renault de Flins. Ce projet a rassemblé un groupe de salariés autour de la création d’une pièce de théâtre inspirée par leurs expériences professionnelles et des changements vécus pendant la transformation du site en Refactory. En effet, depuis la fin de l’année 2020, l’usine est passée de la production automobile à une palette d’activités axées sur l’économie circulaire. C’était la première fois que j’appliquais le dispositif 99 pour accompagner la transformation industrielle et organisationnelle d’une grande entreprise. Retour d’expérience.
Flins, icône industrielle et pionnière de l’économie circulaire
Fondée en 1952, Flins est une usine emblématique du Groupe Renault. Elle s’étend sur une vaste superficie en bord de Seine, équivalente à 330 terrains de football. Depuis sa création, 18 millions de véhicules sont sortis de ses lignes, dont les célèbres Renault 5, Clio, Twingo, Micra et plus récemment la Zoé.
Fin 2020, Flins a entamé sa transition vers l’économie circulaire dans le cadre d’un plan de réorganisation du groupe Renault initié par la nouvelle direction du groupe assurée par Jean-Dominique Senard et Luca de Meo. Le lancement de la Refactory à Flins résultait à la fois d’une nécessité et d’une opportunité. D’une part, il fallait maintenir l’emploi à Flins car la fermeture de l’usine aurait entraîné la perte de 2000 emplois. Le lancement de nouvelles activités sur le site permettait de les préserver. D’autre part, le reconditionnement de véhicules d’occasion à grande échelle avait été identifié comme une activité porteuse par la direction de la fabrication du groupe.
Pour piloter le projet de reconversion de Flins, une équipe « Refactory » de 25 salariés, dirigée par Jean-Philippe Bilaye, a été mise en place fin 2020. Leur feuille de route comprenait la mise en place d’activités liées à l’économie circulaire, le maintien de l’emploi et la contribution à la décarbonation du site. La première activité de rénovation à grande échelle de véhicules d’occasion(1) a été lancée en un temps record pour rassurer les salariés et les pouvoirs publics qui ne croyaient guère aux chances de cette transformation d’envergure.
L’exigence de rapidité de la transformation a bousculé les procédures habituelles et stimulé l’innovation et l’expérimentation à tous les niveaux.
Cette exigence de rapidité a bousculé les procédures habituelles et stimulé l’innovation et l’expérimentation à tous les niveaux. Ainsi, les ingénieurs en charge de l’industrialisation ont dû adapter les méthodes de travail et les indicateurs de performances. En effet, la rénovation à l’échelle diffère profondément des processus optimisés des lignes de montage traditionnelles en ce qu’elle mobilise le travail manuel en autonomie et rend impossible l’application des mêmes cadences que pour la production de véhicules neufs.
De même, l’accompagnement des salariés vers les nouveaux métiers a suivi une approche non conventionnelle. Comme les nouveaux métiers de l’économie circulaire manquaient de définition et que l’évaluation des besoins en personnel reposaient sur des hypothèses encore incertaines, une planification classique n’était pas réaliste. “Il a donc fallu répondre à mesure que les besoins se faisaient jour en développant des formations adaptées, allant des fondamentaux de l’économie circulaire à des reconversions certifiantes de plusieurs mois”, rappelle Sylvie Dugenest, responsable RH de Refactory et directrice du Campus.
Depuis le lancement de la Refactory (rénovation de véhicule à grande échelle) en 2021, d’autres activités ont démarré parfois avec difficultés. Citons l’activité «Bodywork», lancé en 2022, qui s’occupe du reconditionnement de flottes lourdement accidentées, «Rétrofit» qui prend en charge la conversion de véhicules thermiques en véhicules électriques. Initialement trop coûteuse, cette activité a évolué vers la conversion de véhicules utilitaires. De même le Recyclage des batteries reste une activité limité en raison d’un marché insuffisant. Enfin, le Campus après avoir piloté et formée les 2000 employés du site développe une nouvelle offre de formation pour l’économie circulaire appliqué à la mobilité.
Malgré tout, la Refactory a su convaincre. Aujourd’hui, toutes ces activités sont regroupées sous une nouvelle entité du Groupe Renault, “The Future Is NEUTRAL” qui a l’ambition de devenir la première entreprise à opérer sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’économie circulaire automobile.
99 Flins : la voix des salariés pour dire l’avenir de Renault
La mise en œuvre technique des nouvelles activités et le maintien de l’emploi ont été les deux priorités de la transformation (2). Mais le ressenti des salariés du site n’a pas été suffisamment pris en charge. Certes, on a communiqué, on a formé, mais l’impact des changements vécus qu’il s’agisse des identités professionnelles ou l’organisation du travail a été insuffisamment entendu et débattu. L’intention du projet 99 Flins est né de ce besoin : permettre aux salariés de l’usine de partager leurs témoignages de la transformation de l’usine en Refactory et en faire une narration collective fédératrice.
L’intention du projet 99 Flins est né de ce besoin : permettre aux salariés de l’usine de partager leurs témoignages de la transformation de l’usine en Refactory et en faire une narration collective fédératrice.
Pourtant si l’objectif des responsables de Flins était clair, la gestation du projet a été longue. Au-delà de l’inertie prévisible d’un grand groupe, cette lenteur était révélatrice des craintes liées à la prise de paroles libre des salariés, perçue comme potentiellement contestataire et à l’incertitude des sujets abordés dans la pièce finale. Autrement dit, la culture du résultat et le souci de contrôler la communication rendaient difficile l’acceptation d’un dispositif expérimental dont le message n’était pas prédéterminé. Pendant des mois, ces craintes souvent non formulées ont freiné le dispositif et le recrutement des participants.
Pour surmonter ces obstacles, deux approches ont été adoptées : la communication en réseau : des salariés sensibilisés à ce type d’exercice d’écriture ou de théâtre ont diffusé l’information auprès de leurs collègues. L’implication des cadres : des ateliers de découverte organisés pour les managers avec le soutien clé du directeur de l’usine les ont rassuré sur l’effet thérapeutique du projet et la pertinence du contenu.
Le projet 99 Flins a démontré que donner la parole aux employés de manière authentique aboutit à un usage responsable et constructif de cette liberté.
Malgré les défis du démarrage, le projet 99 Flins a démontré que donner la parole aux employés de manière authentique aboutit à un usage responsable et constructif de cette liberté. Les ateliers d’écriture collaborative ont permis aux participants de s’exprimer librement tout en étant guidés par des structures thématiques claires: les relations sociales, l’environnement de l’usine, les gestes du travail, l’annonce du projet Refactory et les émotions ressenties à ce moment-là, et les projections sur l’économie circulaire et l’avenir. Chacun a pu dire ses inquiétudes, ses résistances et ses aspirations et les mettre en perspective. La pièce 99 Flins émouvante, drôle et percutante issue de ce travail collaboratif a indéniablement ouvert de nouveaux canaux de communication pour parler de la transformation de l’usine aux employés de Renault Group mais aussi à un public plus vaste.
Le travail théâtral de mise en scène a également permis de valoriser les qualités de créativité et d’adaptabilité des salariés. Ils ont expérimenté sur scène leur capacité collective à créer, à se soutenir et se faire confiance et à résoudre les problèmes ensemble. Ils ont donné à voir un spectacle soigné et festif qui a nourri leur motivation et renforcé une culture de participation et de collaboration nécessaire au succès des grandes transformations.
Au final, le projet 99 Flins a non seulement réussi à fédérer les salariés autour d’une initiative commune, mais il a également démontré l’importance de créer des espaces d’expression libre et responsable, propices à l’innovation et à la cohésion sociale.
(1) initialement Factory VO, aujourd’hui Renew.
(2) le troisième objectif, celui de la décarbonation, s’est révelé trop complexe à suivre et à évaluer dans ce paysage industriel mouvant et a été écarté pour le moment.